Interview avec Andy Scrase, superviseur VFX sur la série La Roue Du Temps

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La Pierre de Tear a eu l’honneur de recevoir Andy Scrase, le superviseur VFX (Effets Visuels) sur les saisons 2 et 3 de La Roue du Temps, pendant un peu moins d’une heure, Camille et Cédric lui ont posé toute une série de questions sur sa carrière, ses études et son travail sur la série.

Vous pouvez retrouver l’interview en podcast et aussi sur Youtube en anglais et aussi sa transcription VO ici.

En voici une transcription en français.

(ndlr : Attention pour les lecteurs qui n’ont pas fini l’œuvre, quelques spoilers, bien que mineurs sans contexte sont toutefois présents dans l’interview)

Transcription :

Cédric :
Aujourd’hui, nous accueillons Andy Scrase, superviseur VFX pour la série La Roue du Temps. S’il vous plaît Andy, corrigez-moi si je dis quelque chose d’incorrect.

Andy :
Jusqu’ici, tout va bien.

Cédric :
Nous sommes très heureux de vous accueillir, Andy !
Pour ceux qui ne vous connaissent pas, comme je l’ai dit, vous êtes le superviseur VFX de la série La Roue du Temps et vous avez derrière vous une longue carrière de près de vingt ans dans l’industrie des effets visuels.
Vous avez travaillé sur de nombreuses séries et films.
Parmi eux, The Crown, pour lequel vous avez reçu le prix Outstanding Supporting Visual Effects décerné par la Visual Effects Society. Vous avez également été nommé aux Emmys pour ce même projet.
Vous avez aussi travaillé sur plusieurs œuvres de fantasy comme His Dark Materials (À la Croisée des Mondes en français), plusieurs films Harry Potter tels que Les Reliques de la Morts, Les Animaux Fantastiques et Miss Peregrine et les enfants particuliers.
Mais aussi sur des films comme Mission Impossible ou Interstellar.
Est-ce exact ?

Andy :
C’est exact. Sauf pour Fantastic Beasts, je n’ai jamais travaillé dessus. J’étais plutôt resté fidèle à l’univers Harry Potter, mais en y repensant, c’est assez spécial d’avoir eu l’occasion de travailler sur ces films.
Je sais qu’ils produisent maintenant une série télé, mais avoir participé aux films originaux était vraiment génial, simplement à cause de toute l’effervescence qu’il y avait à l’époque.
Et dire que je travaille dans cette industrie depuis presque vingt ans… ça me saute soudain au visage et ça me fait me sentir un peu vieux. Donc, merci.

Cédric :
C’est pareil pour nous, quand on réalise que 2005, ça fait déjà vingt ans..!
Vous avez rejoint la série La Roue du Temps à partir de la saison 2, si je ne me trompe pas, une saison qui a marqué un grand changement dans la façon dont le Pouvoir de l’Unique est conçu et représenté à l’écran. C’était une évolution très marquante pour tous nos spectateurs.
Je vais passer la parole à Camille, qui est impatiente de vous poser quelques questions.

Camille :
Avant tout, je voudrais vous remercier de partager votre travail sur les réseaux sociaux ! C’est vraiment passionnant et ça nous a permis de mieux comprendre votre processus de création. Alors merci beaucoup !

Andy:
Pas de problème. J’aime autant ça que n’importe qui, qu’il s’agisse d’une série, d’un film ou autre, de découvrir le processus créatif par lequel quelqu’un est passé. Je pense que ça peut parfois être aussi intéressant que le plan final ou que le film terminé, quel qu’il soit.
Je crois que c’est lié à ma formation artistique et aux médiums par lesquels je suis passé : tout reposait sur une recherche approfondie et une justification solide de ses choix de design, etc. Du coup, j’ai toujours été très intéressé par la réflexion qui se cache derrière l’apparence de certaines choses dans les films ou les séries, et j’ai vraiment essayé d’apporter ça dans ma carrière

Camille :
Eh bien, c’était vraiment génial, merci !
Aujourd’hui, nous allons vous poser toute une série de questions. Certaines concernent votre métier et d’autres votre travail sur La Roue du Temps.
Je vais donc commencer par la première.
Parfois, on ne connaît pas toutes les carrières qui s’offrent à nous quand on sort de l’école.
J’ai vraiment à cœur de partager, auprès des jeunes comme des moins jeunes, les parcours professionnels de personnes venues d’horizons différents.
Alors pouvez-vous nous dire comment vous êtes devenu superviseur VFX ?Quelles ont été les étapes de votre parcours, qu’est-ce qui vous a conduit dans cette voie et quelles études ou formations sont recommandées pour exercer ce métier ?

Andy :
Pour moi, ça a été un parcours assez direct. Certains prennent une voie beaucoup plus détournée pour arriver aux effets visuels.
J’en connais qui viennent de la danse, d’autres du génie biochimique, de l’architecture… Il y a vraiment plein de chemins possibles. Mais moi, j’avais ce bagage artistique, et ça a commencé très tôt, dans l’enfance, par le dessin.
Ma famille est assez artistique, des deux côtés. Mon père dessine très bien, et du côté de ma mère aussi, il y a un vrai sens artistique sous différentes formes. Le dessin en faisait clairement partie.
Alors ça a été encouragé chez moi, simplement parce que je voyais mon père le faire, ou ma tante, la sœur de ma mère, dessiner.
Et j’y suis tombé un peu naturellement, parce que c’était une façon vraiment amusante d’exprimer son imagination. C’était quelque chose de très fun à faire quand on est enfant.

J’essayais déjà de reproduire ce que je regardais. Donc, chez le jeune Andy Scrase, il y avait beaucoup de Cosmocats, de Musclor, de MASK.
Bref, tous les dessins animés d’action des années 80, j’étais là à essayer de les recopier, de les dessiner.
Les années 80 ont eu une énorme influence sur ma carrière. J’ai sûrement essayé d’en pomper autant que possible. C’était, à mes yeux, une super période pour grandir, avec énormément d’originalité et d’imagination dans les programmes pour enfants de l’époque.
Avec le recul, je pense qu’une bonne partie était aussi motivée par la vente de jouets, mais honnêtement, quand on vit enfant dans les années 80, c’était vraiment une période géniale pour grandir.

À partir de là, j’ai commencé à inventer mes propres personnages. C’était toujours centré sur un humain, une créature, quelque chose comme ça.
Puis j’ai élargi vers des choses comme Batman, en commençant à dessiner des véhicules et ce genre d’éléments.
Donc, d’une certaine manière, je suivais déjà une trajectoire naturelle vers un rôle de designer de production, de costumier ou de concept artist. Et c’est ça qui m’a donné envie d’aller plus loin dans cette voie.


Au départ, je pensais que l’illustration de bande dessinée pourrait être une carrière pour moi. Mais ça ne paie pas très bien. Alors j’ai évité cette voie. Mais c’était une transition assez naturelle, en fait.
J’ai eu de très bons résultats en art au GCSE (General Certificate of Secondary Education), l’équivalent des examens de fin de secondaire au Royaume-Uni.
Ensuite, j’ai suivi ce qu’on appelle une année préparatoire entre le lycée et l’université. En art, au Royaume-Uni, il faut passer par cette étape : une année en école d’art, appelée art foundation course, où l’on explore différentes disciplines artistiques comme la photographie, la mode, le design graphique, etc.
Et à partir de là, on choisit sa voie et on postule pour l’université. Avec mon bagage en dessin, j’ai choisi une licence en illustration à l’université de Portsmouth.

Je me disais à l’époque : « Écoute, si tu vas à l’université et que tu rates, ce n’est pas grave. »
J’en suis sorti avec un 2:1 (Upper Second Class Honours, ce qui correspond à une très bonne note, autour de 13–15/20), donc un bon résultat. Mais je pense avoir fait pas mal d’erreurs à la fac.
Ça te fait un peu grandir, parce que tu réalises sur quoi tu dois concentrer ton temps, sachant qu’à l’université il y a aussi beaucoup de distractions sociales. Honnêtement, ce qui était bien, c’est que ça m’a permis d’explorer ce que j’aimais vraiment faire. Et c’est là que je me suis ouvert au côté numérique de l’art, en utilisant des ordinateurs et d’autres outils.

Avant ça, je m’étais toujours dit que je ne voulais pas m’en servir. J’avais l’impression que c’était tricher, sans comprendre que ça ne l’était pas du tout.
En fait, ça élargit ses compétences et ça ouvre beaucoup plus de portes. Donc ça a été une super expérience. Je crois même que mon projet final à l’université n’était pas vraiment très bon. Mais ça faisait partie du chemin : on commence à comprendre ce qui est nécessaire, la rigueur et les idées qu’il faut développer.
Ensuite, j’ai poursuivi avec un Master en digital moving image à la London Metropolitan University, qui était aussi centré sur l’utilisation des ordinateurs dans l’art. On y travaillait, entre autres, sur le motion design. Et c’est là que j’ai découvert les effets visuels.

Pendant mon Master, à 24 ou 25 ans, nous avons fait une sortie d’une journée chez Double Negative (aujourd’hui DNEG). J’ai pu visiter les lieux, et c’est en fait le premier studio VFX où j’ai travaillé, en commençant comme runner (assistant polyvalent débutant).

Donc, comme je le disais, c’était vraiment une transition naturelle. Et à mesure que l’informatique prenait plus de place dans l’art et les médias, je me suis adapté et j’ai plongé dans ce domaine.
Pour moi, c’était vraiment génial. Quand j’étais à l’université, je n’aurais jamais pensé me diriger vers les effets visuels. Je pensais plutôt aller vers le motion design. Mais une fois mon Master terminé, le côté VFX a commencé à beaucoup m’attirer.

Évidemment, il y a une certaine aura de glamour autour du cinéma et de la télévision. Mais croyez-moi, ce glamour n’existe que les soirs de remise de prix. Tout ce qu’il y a avant, c’est énormément de travail, et ce n’est pas du tout aussi glamour qu’on l’imagine. [rires] Mais ce sont les effets visuels..!

Je crois que ce qui m’attirait, c’était qu’ils devenaient de plus en plus créatifs. On les utilisait beaucoup plus dans le cinéma, et par conséquent, les possibilités de ce qu’on pouvait faire au cinéma et à la télévision ont soudainement explosé — ce qui n’avait pas vraiment été le cas avant.
J’ai terminé mon Master vers 2004-2005. Donc, évidemment, les effets visuels au cinéma existaient déjà à ce moment-là, mais c’était vraiment le moment où ils commençaient à se répandre partout.
Et en plus de ce côté créatif, j’aimais beaucoup l’idée de tromper le spectateur, de lui faire croire qu’une scène avait réellement été tournée devant la caméra. [ndlr : par exemple, le plan sur le sable juste avant de voir Moghedien dans l’épisode 1 de la saison 3, après que Rand dit vouloir aller dans le Désert Aiel. Voir notre article sur les VFX ici]

Et encore aujourd’hui, ça reste l’un de mes aspects préférés du métier. Je ne dis pas que j’y arrive à tous les coups, mais j’adore ces moments où l’on crée des effets visuels invisibles et que le public ne s’en rend pas compte.
Le côté négatif, c’est qu’on ne remarque pas votre travail… mais en même temps, si, on le remarque ET on ne le remarque pas. On dit toujours que de bons effets visuels sont ceux que le spectateur ne voit pas — et c’est aussi une excellente preuve de réussite.

Cédric :
C’est quelque chose que j’ai remarqué en regardant le travail que vous partagez sur vos réseaux sociaux, où l’on voit tout ça. Par exemple, quand il y a des explosions ou de la magie à l’écran, on sait que ce sont des effets spéciaux, on les reconnaît et on peut en apprécier la qualité.
Mais dans The Crown, par exemple, quand j’ai vu le travail que vous avez fait pour ajouter des foules dans une scène… Si on n’y prête pas spécialement attention, on ne réalise même pas que ces gens n’existent pas vraiment, qu’ils ont été ajoutés ensuite. En réalité, la scène de base n’a peut-être que dix personnes, et au final on en voit une centaine ou plus. Et on ne se doute absolument pas que ce sont des effets spéciaux, à moins qu’on ne vous montre que c’est le cas.
C’est pour ça que l’aspect “illusion” est fascinant, parce que la plupart de votre travail ne peut même pas être perçu par le spectateur moyen comme étant des effets spéciaux.

Andy :
Alors, je vais m’arrêter sur quelque chose ici, un point d’irritation pour les artistes en effets visuels, c’est la différence entre Effets Visuels et Effets Spéciaux.

Cédric :
Je vous en prie, éclairez-moi !

Andy :
Si vous dites Effets Spéciaux à quelqu’un qui travaille en Effets Visuels, il risque d’avoir un petit tic nerveux.

Cédric :
D’accord. Ah, pardon, je savais pas. [rire]

Andy :
Ça arrive très souvent. Je vois ça en ligne, dans les médias, partout.
Il faut comprendre que les effets visuels sont principalement un processus de post-production, où l’on insère numériquement dans l’image quelque chose qui n’était pas présent lors du tournage.
Évidemment, tout cela se fait à l’aide d’ordinateurs.

Aujourd’hui, il y a aussi la production virtuelle, et j’ai eu la chance de travailler sur une grosse production virtuelle pour Netflix, 1899.
Là, on tourne devant un gigantesque écran composé de nombreux panneaux LED : c’est du VFX directement à la caméra. Votre rôle change alors, car vous essayez d’obtenir des plans VFX finaux directement sur le plateau, au moment du tournage.
Mais comme je le disais, traditionnellement, les effets visuels restent un processus de post-production. On ajoute tout après le tournage.

Les gens qui travaillent aux effets spéciaux — peut-être que ça les agace aussi — sont ceux qui interviennent directement sur le plateau. Ils s’occupent des effets pratiques, comme les explosions, la fumée, la pluie, ce genre de choses. Voilà ce qu’on appelle les effets spéciaux.
Et ensuite, comme je l’ai dit, les effets visuels sont plutôt numériques, ce qui n’existe pas réellement sur le plateau.

Cédric :
Oui, donc je me trompais complètement. C’est une distinction que je ne connaissais pas du tout. J’ai toujours pensé que tout s’appelait effets spéciaux. Si ce n’est pas un effet pratique, c’est juste un effet spécial. Et je suppose qu’en français, il y a peut-être encore moins de distinction dans le langage courant. Je ne savais pas que les effets visuels constituaient quelque chose de vraiment séparé, mais c’est le cas.
Donc vous travaillez spécifiquement en post-production.

Andy :
Exact.
Mais une chose importante à retenir à propos des effets visuels, c’est que même si c’est un processus de post-production, ce n’est pas une discipline qui intervient seulement à la fin du tournage. Aujourd’hui, les effets visuels doivent être intégrés dès le départ. Et je parle du développement du scénario, parce qu’il y a des choses à savoir, comme « qu’est-ce qui est possible ? » ou « comment tourner telle scène ? ».

Lors de la pré-production, pour planifier le tournage, le VFX joue un rôle crucial, surtout sur une grosse production avec beaucoup d’effets visuels, pour déterminer comment les choses vont être réalisées.
Il est parfois important d’établir le design dès cette étape, parce qu’au moment du tournage, on peut vouloir un type de lumière interactive pour donner vie à un effet visuel.

Dans La Roue du Temps, nous avions la canalisation. La plupart du temps, nous n’avions pas de lumière interactive, car il s’agissait d’un éclairage assez subtil que nous pouvions ajouter en post-production. Mais il y a des moments plus marquants dans la saison 3, comme avec Aviendha et ses lances Aielles de Pouvoir de l’Unique, celles qui ont les têtes enflammées.

Cédric :
Donc, il fallait qu’il y ait un reflet sur elle.

Andy :
Oui, nous l’avons fait. Sur le plateau, ce que nous avions, c’étaient essentiellement ces lumières orange au bout des lances. Je crois que vous pouvez le voir en ligne : nous avons publié une vidéo d’explication très bien réalisée par Framestore [Note de l’éditeur : un studio d’effets visuels, voir notre article ici].

Nous avons essentiellement effacé ces ampoules au bout des lances pour les remplacer par des lances de feu numériques (vidéo ci-dessous à 02:35).

C’est un très bon exemple de la manière dont cet effet a si bien fonctionné grâce à cette lumière interactive.
Parce qu’elle se trouve dans un environnement sombre avec du feu, la qualité de l’éclairage que nous avons obtenue sur le plateau aide complètement à “vendre” l’effet lors de la post-production et à livrer le plan.
Ce genre de petits détails est vraiment très important.

Il y a d’autres superviseurs VFX qui fonctionnent de cette manière. Paul Lambert, par exemple, est le superviseur VFX de Dune et plus tard de Blade Runner 2049.
C’est quelqu’un avec qui j’ai travaillé chez DNEG. J’ai eu la chance de collaborer avec lui sur le film The Huntsman: Winter’s War (en français Le Chasseur et la Reine des Glaces), et il venait juste de rejoindre DNEG à ce moment-là. J’ai donc passé tout un tournage avec lui. Il était super, très instructif et vraiment sympathique.

J’adore sa façon de travailler, son approche très naturelle des effets visuels, et il attache une grande importance à obtenir ces éléments pratiques directement à la caméra pour mieux “vendre” le plan.
Un exemple récent pour lui serait Dune. Les écrans couleur sable qu’il a réalisés étaient géniaux grâce à la qualité du rebond de la lumière qu’ils apportent et toutes les astuces que cela permet. [note de l’éditeur : Sur les film récents Dune, Paul Lambert a utilisé des écrans couleur sable en lieux et place des écrans vert pour garder la cohérence de la lumière et de ses reflets sur le sable naturel du lieu de tournage]

Je pense que travailler avec des personnes comme lui m’a permis de comprendre à quel point il est important d’obtenir certains éléments directement à la caméra, pour ensuite pouvoir créer un plan VFX très réussi en post-production.

Cédric :
Eh bien, merci. C’est très intéressant, une réponse très détaillée. Merci beaucoup pour tout cela.
Ça nous amène un peu à la question suivante que nous voulions poser. Nous ne connaissons pas très bien votre métier et, comme je vous l’ai montré, je n’y connais rien, je ne connais même pas les bons termes. Et encore désolé pour ça !
Alors, pourriez-vous nous expliquer comment fonctionne votre travail ? Travaillez-vous pour vous-même ou engagez-vous des artistes pour vous ? Comment êtes-vous recruté sur un projet ?
Y a-t-il un genre de série en particulier que vous aimez travailler ?

Andy :
Eh bien, ce sont pas mal de questions. Laissez-moi commencer depuis le début.
En ce qui me concerne, je fonctionne un peu comme ma propre entreprise. Ensuite, je suis engagé par une production pour travailler sur une série, en tant que superviseur VFX de production ou superviseur VFX global.
Vous êtes donc responsable de tous les effets visuels de la série.
Dans La Roue du Temps, par exemple, nous avions environ 2 600 plans VFX pour la saison 2.
La saison 3 comptait environ 2 100 plans, peut-être un peu moins.
Et ce que l’on fait généralement, c’est répartir ces plans entre différents studios VFX.
Je vais parler un peu des studios VFX. Ce sont les équipes qui créent réellement le travail pour vous.
J’ai commencé chez DNEG, où j’ai travaillé pendant 10 ans et où j’ai gravi les échelons. Ensuite, je suis allé dans une société appelée One of Us, qui a d’ailleurs un bureau à Paris. Puis je suis passé chez Framestore, bien connu pour Harry Potter et Paddington. Ils ont fait Gravity, aussi, un studio vraiment célèbre.
Ce sont des studios VFX de premier plan dans le monde, tout comme DNEG, pour avoir travaillé sur les plus grandes productions.
C’est là que j’ai terminé ce parcours et que j’ai fait la transition vers ce que nous appelons le côté “client”, c’est-à-dire que vous travaillez pour la production et non plus pour un studio VFX.
J’ai cette expérience côté studio VFX, donc je sais qui est bon dans quoi, et j’ai construit des relations au fil des années. Certaines personnes accèdent au rôle de superviseur VFX de cette manière, en progressant chez les studios.
Mais ce qui a vraiment été un atout pour moi, c’est de connaître les deux côtés. Quand j’allais sur les plateaux pour des films, en tant que runner chez DNEG, j’ai eu la chance d’avoir ce rôle double : je me rendais sur le tournage tout en travaillant en interne sur la production.
On apprend ainsi à bien connaître l’industrie et le fonctionnement de ses différentes facettes. Et ce sont donc ces studios VFX qui font tout le travail pour nous.

Pour la saison 3, par exemple, j’ai travaillé avec Framestore, One of Us, Outpost VFX et beloFX. Nous avions aussi une équipe interne, appelée TPO (The Post Office). Ils s’occupaient de beaucoup de tâches de nettoyage, comme effacer des éléments qui ne devraient pas être là ou corriger des lignes de perruques ou de maquillage, et d’autres ajustements nécessaires. Voilà un peu le processus.

Dans La Roue du Temps saison 3, Framestore était le studio que j’ai utilisé pour la canalisation, par exemple. Il est recommandé, si possible, de confier un ensemble de plans à un même studio, car cela assure cohérence et continuité. Ils apprennent à connaître l’élément sur lequel ils travaillent — ici, la canalisation —, le développent et affinent vraiment son apparence.

C’était un élément partagé lors de la saison 2 de La Roue du Temps. Il était partagé entre MPC [Note de l’éditeur : MPC a réalisé plus de 700 plans et 55 assets sur plus de 20 mois], qui n’existe malheureusement plus, et Framestore.
Donc, il pouvait y avoir un léger décalage dans l’apparence de la canalisation. Nous nous en sommes sortis comme ça. Mais pour la saison 3, je me suis dit : « Non, je veux qu’un seul studio s’en occupe. »

Je pense qu’il est toujours bon de répartir un peu le travail, pour que les équipes se concentrent sur un domaine ou un autre.

Quelle était l’autre question déjà ? J’ai complètement oublié, ça me paraît remonter à une éternité.

Cédric :
Y a-t-il un genre de films ou de séries que vous aimez particulièrement travailler ?

Andy :
La fantasy ou la science-fiction, je pense que c’est probablement le plus amusant, parce que sur le plan créatif, c’est ce que je trouve le plus appréciable.
Parce que c’est un peu hors du monde réel, et vous inventez des choses qui n’existent pas du tout. Vous travaillez avec des créatures, de la magie et des lieux qui dépassent tout ce qui est réel.
Donc ce genre de travail devient vraiment fun pour n’importe qui dans les effets visuels, parce que ça change un peu du travail plus classique et “invisible”.

La Roue du Temps était géniale justement parce que c’est une série de fantasy, et ça permet de laisser un peu plus libre cours à sa créativité.

Camille :
Et justement, en parlant de créativité, comment avez-vous eu l’idée de la canalisation ? Avez-vous d’abord discuté avec Framestore en leur disant « D’accord, je visualise ça pour le Pouvoir de l’Unique » ou est-ce eux qui vous ont proposé quelque chose à ce sujet ?

Andy :
Il y a eu un changement créatif dans l’équipe de direction des effets visuels entre les saisons 1 et 2, comme cela a pu se produire dans d’autres départements de la série.
J’avais vu la canalisation, j’avais lu ce que c’était. C’est quelque chose dont j’ai discuté avec Rafe Judkins, le showrunner, pour potentiellement revoir et ajuster son design.
C’est quelque chose que l’on remarque quand on travaille à la télévision : la créativité repose un peu plus sur le superviseur VFX.
Les showrunners, eux, sont plutôt sur le côté scénario, centrés sur les émotions et les sentiments.
Moi, je suis plutôt quelqu’un de visuel.
Je pouvais voir à quel point les fans étaient passionnés, rien qu’en regardant en ligne. Dire qu’ils sont passionnés est un euphémisme.
Je pense qu’une fois que j’avais compris le matériau et le système magique de la canalisation, j’ai ressenti une certaine attente qui me paraissait importante.
Il y a aussi cette terminologie “textile” avec la canalisation — des fils du Pouvoir de l’Unique qui s’entrelacent.

Pour moi, il fallait que ce soit une énergie lumineuse et émissive qui se dégage, et je ne crois pas avoir jamais caché ça.
Je me demandais : « Bon, à quoi pourrait ressembler la canalisation si je devais la redesigner ? » C’est à ce moment-là que je suis tombé sur le light painting, qui avait vraiment une qualité filiforme. Et je suis presque sûr que c’était pendant un trajet en train entre Berlin et Hambourg. J’ai découvert ces images et j’ai eu un vrai déclic : « Voilà la canalisation ! » dès que j’ai vu les photos.

(ndlr : Le light painting désigne des techniques photographiques consistant à déplacer une source de lumière pendant une prise de vue en longue exposition, soit pour illuminer un sujet ou un espace, soit pour diriger la lumière vers l’appareil afin de “dessiner”, soit encore en déplaçant l’appareil lui-même durant l’exposition à des sources lumineuses. Exemple ci-dessous.)

Grâce à l’introduction de la couleur, à cette énergie lumineuse, et à la possibilité de faire bouger cette lumière autour d’un personnage, ça a vraiment fonctionné. Je pense que j’ai bien fait passer le message : le light painting a été une grande référence pour moi pour représenter la canalisation dans la série.
Et à partir de là, je me suis lancé. Je suis resté le plus fidèle possible aux livres pour les couleurs que nous avons utilisées. Encore une fois, j’ai remarqué que c’était un commentaire récurrent chez les fans : ils voulaient vraiment voir les couleurs, et c’est une partie très importante de la série.

Et ça aide à “vendre” le système magique, d’une certaine manière.
Ça permet aux spectateurs de comprendre quelles composantes élémentaires du Pouvoir de l’Unique sont utilisées pour créer un certain effet. Je me suis donc clairement appuyé là-dessus.

Ensuite, la touche finale a été d’introduire une couche secondaire dans les fils du Pouvoir de l’Unique pour représenter l’élément utilisé.
Par exemple, pour la canalisation du feu, de petites braises s’en détachaient. Pour l’eau, nous avions des gouttes d’eau en suspension. Pour la terre, c’était de la poussière. L’air avait une très subtile distorsion autour de lui, un effet déformant un peu l’image. Et pour l’esprit, nous sommes restés assez sobres — avec presque un effet de prisme dans les couleurs.

Comme je le disais, les fans ont eu une forte influence sur le travail que j’ai fait.
C’est le cinéma et la télévision, et on veut vraiment que son travail plaise au public. C’était ma façon de voir les choses.
Donc, à cause des attentes du public, je ne voulais pas créer quelque chose de complètement abstrait — quelque chose de totalement différent de ce que chacun imaginait en lisant les livres. Je voulais créer quelque chose de plus proche de ce que je pensais que les gens visualisaient quand ils imaginaient la canalisation, en me basant sur les descriptions de Robert Jordan.
Et encore une fois, c’était donc très délibérément quelque chose de fidèle aux romans.

Cédric :
À mon humble avis, je pense que vous avez vraiment réussi à retranscrire ce que l’on ressent en lisant le Pouvoir de l’Unique.
Pas seulement les couleurs, mais comme vous l’avez dit, tous les effets : la manière dont il jaillit du sol, de l’air, toutes les variations — comment il est utilisé, comment il se déplace, quel type de pouvoir, qui le manie.
Si c’est le Vrai Pouvoir, par exemple, avec Lanfear à la fin de la saison 3.

Toutes ces différences ! Vous avez vraiment saisi la complexité et toute la logique qui se cache derrière. Et en tant que lecteur, quand on voit la scène, on peut comprendre quel type de tissage est utilisé rien qu’en regardant les images.
Pour moi, c’est déjà un travail exceptionnel que vous avez accompli.

Andy :
Je suis content que ça vous ait plu. Merci. Du coup, ça en valait vraiment la peine.

Cédric : 
Oui, complètement, ça le valait.
Et en fait, quand nous avons vu à quel point ces tissages étaient réussis, nous nous sommes demandé : avez-vous lu toute La Roue du Temps ou juste quelques tomes ?

Andy :
Je suis allé jusqu’à Un lever de ténèbres [Note de l’éditeur : Tome 4]. Je suivais donc le rythme de la série. Et évidemment, j’avais un certain nombre de spoilers, parce que je devais lire un peu en avance ou connaître le synopsis de certains des autres tomes.

Cédric:
Oui, des choses comme le Vrai Pouvoir n’apparaissent pas avant plus tard dans les livres.

Andy :
Exactement. Nous avions notre expert des livres sur la série, avec qui nous parlions de ces choses-là. Ça ne me dérangeait pas du tout de les découvrir à l’avance.
Mais comme je le disais, les livres sont une référence indispensable, et c’était toujours mon point de départ pour tout ce que je faisais. Et pour être honnête, Rafe me poussait beaucoup dans ce sens : « Qu’est-ce que le livre dit à ce sujet ? » Il voulait que je parte de là.

J’ai pris un peu de liberté créative. Techniquement, je pense que la façon dont la corruption — et je dis bien corruption plutôt que souillure, car c’est ainsi qu’on l’a toujours appelée — est représentée dans la canalisation masculine, et le rendu du Vrai Pouvoir, devraient en fait être inversés. Je crois que la corruption dans la canalisation masculine est censée avoir un aspect un peu huileux, ce que nous avons fait en saison 2.
Mais pour moi, ça ne collait pas vraiment.

Cédric :
C’est l’une de ces choses très difficiles à adapter, parce que techniquement, la souillure, telle qu’elle est expliquée dans les livres, est une sorte de couche qui se trouve entre toi et le Pouvoir de l’Unique. Il faut la traverser pour pouvoir canaliser.
Et dans les romans, c’est uniquement décrit à travers l’esprit de ceux qui canalisent.
Visuellement, dans une série télé, je ne pense pas qu’il soit très simple de montrer cette distinction. C’est bien plus efficace de montrer les tissages de Pouvoir venir de l’environnement, comme vous l’avez fait.
C’est mieux ainsi. Et montrer ces tissages marqués par cet effet noir pour représenter la souillure — je trouve que c’est une bien meilleure manière de le faire.

Andy :
J’aimais l’idée que ça paraisse sale. Comme une suie noire qui s’infiltre. C’était corrupteur… J’ai essayé de l’imaginer comme un virus qui se propage et prend le contrôle de la canalisation. L’idée, c’était que plus un homme canalisait, plus ça s’accumulait. Dans notre cas, c’est toujours Rand dans la série.

Plus la corruption prend le dessus, plus elle étouffe presque les qualités lumineuses et émissives des fils du Pouvoir de l’Unique.

Le Vrai Pouvoir, si je me souviens bien, c’est quasiment une forme de noir absolu. Il aspire presque la vie. Mais je voulais quelque chose qui paraisse plus répugnant, plus sinistre, comme sorti d’un film d’horreur.
C’est clairement ce que Rafe voulait voir pour le Vrai Pouvoir : quelque chose qui ait vraiment cette dimension horrifique.
Si vous avez vu la saison 2, il y a ce moment avec une certaine Amie du Ténèbreux [Note de l’éditeur : Lanfear est même une Rejetée ! Comme dit au début de l’article : spoilers complets ici] qui se soigne elle-même. Et la manière dont ça apparaît à ce moment-là… Ça remonte à travers les lattes du plancher, encore une fois dans cette veine horrifique qui existe déjà dans La Roue du Temps. Et nous voulions retranscrire cela dans le Vrai Pouvoir.

Et puis, quand on arrive à la saison 3, le Vrai Pouvoir prend plus d’importance, surtout vers la fin. Et c’est là qu’il adopte un aspect bien plus sinistre.
L’horreur était vraiment une composante essentielle que nous voulions intégrer. J’ai vu que certains l’ont comparé un peu à Venom, de Spider-Man, mais ça arrive parfois. Cela dit, je trouve que notre version avait ce côté sauvage, incontrôlable, qui, à mon avis, rendait vraiment bien.

Cédric :
Oui, c’était un très bon travail. Les deux étaient vraiment distincts, et l’utilisation du Vrai Pouvoir a des effets dans les livres, mais pas de la même manière que la folie causée par la souillure du Saidin.
C’était donc un effet très intéressant. Et aussi l’effet dans les yeux de Lanfear quand elle se soigne elle-même dans la saison 2.

Andy :
Oui, c’est assez fidèle aux livres. Les petites taches noires qui apparaissent dans le blanc des yeux. J’aimais l’idée qu’elles soient attirées vers l’iris. Comme quand on prend des copeaux de métal et qu’on passe un aimant au-dessus : ça les attire. C’était un peu mon raisonnement derrière ça. J’aimais beaucoup cette idée de particules noires aspirées vers l’iris, tirées de force.
Visuellement, c’est vraiment chouette. J’ai beaucoup aimé le rendu. On ne le voit clairement que de près, mais je trouve que ça valait le coup de le faire.

Camille :
Vous avez eu d’excellentes idées. C’est vraiment génial d’en parler.
Je me demandais, y a-t-il une ou plusieurs scènes dont vous êtes particulièrement fier ?
Ou encore, avez-vous rencontré de gros défis dans votre travail pendant le tournage de La Roue du Temps ?

Andy :
Oui. Deux scènes me viennent particulièrement à l’esprit.L’une était dans la saison 8… Oh, saison 2 ! La saison 8, vous auriez adoré ça. [rires] Je sais quelque chose que vous, vous ne savez pas. [Note de l’éditeur : si seulement !]

L’épisode 8, saison 2, avec Moiraine sur la plage. Elle commence à canaliser, je pense que c’était probablement la plus grosse démonstration de tissage qu’on avait vue dans la série jusque-là.
Pour moi, c’était une bonne référence de ce qu’était devenu le tissage du Pouvoir de l’Unique à la fin de la saison 2. Et effectivement, je trouvais la comparaison assez frappante : ça paraissait beaucoup plus spectaculaire.
C’était vraiment amusant de travailler avec Rosamund Pike sur cette scène, de discuter avec elle de ce que le canalisateur faisait. Parce que tout reposait sur ce qu’elle me disait de son ressenti émotionnel. Elle le traduisait dans son jeu, dans ses mouvements corporels, ce genre de choses.
Donc il y avait une vraie relation à ce moment-là entre moi, en tant que superviseur des effets, et l’actrice qui jouait la scène—Rosamund—qui était vraiment investie dans la série. Et je trouve que ça a particulièrement bien ressorti.
Je vois beaucoup d’illustrations de cette scène qui circulent en ligne. Ça me fait vraiment plaisir de voir ça, je suis touché que les gens s’en inspirent.

Et puis je pense que dans la saison 3, la canalisation avait encore meilleure allure.
Il y avait quelques moments mémorables. J’ai vraiment adoré Aviendha avec ses lances de Pouvoir de l’Unique, lorsqu’elle se bat dans l’épisode 6.
Mais dans le même épisode, à la fin, Rand a un moment où il puise dans le Pouvoir de l’Unique pour essayer de ramener Alsera à la vie, et c’était encore génial. Ça fait écho à un passage de Un lever de ténèbres, je crois, qui se déroule à la Pierre du Tear. Il fait s’effondrer un toit et une jeune fille est tuée.
J’avais lu ça dans les livres et j’ai vraiment aimé la manière dont ça a été rendu à l’écran. Ces fils — tous ces différents tissages de pouvoirs — qui convergent vers Alsera, avec la corruption qui s’y mêle. Et voir Rand se laisser submerger.
Encore une fois, nous avons eu une super performance de Josha [Note de l’éditeur : Josha Stradowski], qui joue Rand, ce qui nous a vraiment aidés pour la scène.

Dans les deux cas, j’ai eu une super performance sur laquelle m’appuyer. C’est vraiment important pour rendre l’effet crédible.
Donc deux moments contrastés : l’un vraiment puissant et impressionnant, et l’autre plus sinistre, assez sombre et noir.
Ces deux scènes ressortent vraiment pour moi. J’ai beaucoup aimé le résultat final.

Camille :
En parlant de cette scène avec Alsera, nous avons entendu dire que Josha l’a improvisée. L’improvisation des acteurs, ça ne pose pas de problème pour vous ? Parce que je suppose que vous avez aussi le scénario, donc vous savez ce qui va se passer — et si certains acteurs improvisent…

Andy :
Non, ce n’est pas un problème. En fait, on sait généralement ce qui se passe.
Comme j’ai pu l’apprendre au fil des années — certains réalisateurs en parlent — j’ai eu la chance de travailler sur des projets de Christopher Nolan. Et si vous l’entendez en parler, il insiste sur la confiance envers ses acteurs et actrices.
À ce stade de la série, vous avez Rosamund et Josha qui connaissent tellement bien leur rôle que vous appréciez presque cette imprévisibilité sur ce que vous allez obtenir. On a confiance en eux pour livrer une performance excellente sur laquelle on peut travailler.
Je réagis un peu à la performance qu’ils me donnent, et tout part de là. Donc cette base d’une bonne performance est vraiment importante. Le fait que je ne sache pas exactement ce qu’ils vont faire n’est pas un problème. On ne peut pas être trop rigide dans le cinéma en général. On utilise des storyboards et tout ça, mais j’ai appris que les choses changent le jour J. Certaines décisions sont modifiées ou prises sur le moment. Donc ce n’est pas un souci.

Mon implication dans la planification du tournage pour les saisons 2 et 3 a été minimale. Malheureusement, pour la saison 2, c’est parce que je suis arrivé très tard sur la série, et pour la saison 3, je n’ai pas pu m’impliquer beaucoup car je devais gérer une énorme quantité de plans pour la saison 2 pendant que le tournage de la saison 3 avait lieu.
J’ai donc dû faire confiance à d’autres personnes pour s’en occuper. Mais le fait de réagir à ce que nous recevions sur les plans était un aspect que j’ai dû adopter pour la série.
Mais cela ne m’a pas trop dérangé. Au contraire, ça a donné lieu à de très bons moments.

Camille :
Par exemple, pour le cold open de la saison 3, il y avait une chorégraphie pour les acteurs ainsi que pour les cascadeurs pendant la bataille contre l’Ajah Noire dans le Hall de la Tour.
Avez-vous dû vous adapter à cette chorégraphie pour ajouter le Pouvoir de l’Unique ? Savaient-elles déjà quel type de tissage elles allaient faire et ce que vous alliez ajouter en post-production ?

Andy :
Il y a un peu de contexte à cela.
J’ai discuté avec notre coach en mouvement, Scarlett Mackmin, qui travaille avec les acteurs sur leurs déplacements, surtout quand il s’agit de canalisation.
Donc ce qu’elle faisait généralement, c’était m’envoyer une vidéo montrant ce que quelqu’un allait faire pour un mouvement précis. Par exemple, une boule de feu de l’Ajah Noire, où elle effectuait des mouvements très courts et précis qu’elles pourraient faire.
J’avais donc déjà cette idée en tête et je pouvais commencer mon raisonnement en me demandant : « Qu’allons-nous faire pour ça ? »
Je réagissais à ce qu’elles me montraient, mais j’avais déjà une bonne idée — presque un avertissement — de ce qui allait se passer. Je pouvais ainsi commencer à réfléchir à la manière dont nos effets visuels allaient s’intégrer.

Cédric :
Super.
Comme vous l’avez dit, la communauté est très vocale et très passionnée. Entre la saison 2 et la saison 3, y a-t-il eu des retours de fans que vous avez intégrés dans le design visuel ?

Andy :
Vous savez quoi ? Je ne me souviens plus — il y a eu un tel flou entre la saison 2 et la saison 3 que je n’ai pas vraiment eu le temps de tout prendre en compte.
Je pense que j’ai prêté un peu plus attention aux retours des fans après la saison 3, parce que j’étais occupé.
On ne peut se concentrer que sur le travail du moment. C’était plus lié à mon propre retour sur ce que je voulais.
Et je pense que dans toute suite ou progression de saison, on a une certaine liberté artistique pour améliorer les choses et les rendre plus belles.
Si vous comparez le premier film Harry Potter et le dernier — la manière dont tout est rendu — il y a une évolution qui se produit.
Et je pense que le public l’accepte, il ne le rejette pas forcément.
Nous avons donc toujours cherché à évoluer. Le défi vient évidemment de nombreux autres aspects de la série.
Quand je regardais la canalisation, je voulais obtenir des accents, ces points plus lumineux qui traversaient le tissage — ça aidait vraiment à transmettre l’idée de mouvement. Et je voulais moins de tout petits points, et plus de gros.
J’aimais aussi l’idée de presque casser la transparence le long des fils du Pouvoir de l’Unique. Ce sont ces éléments qui m’ont poussé davantage dans la saison 3.

Et puis il y avait un autre aspect. Quand j’ai lu les livres, il y avait un tissage de fils qui se produisait, mais aussi des flux de fils. Je me suis toujours dit : « D’accord, on dirait qu’il y a deux manières différentes de canaliser le Pouvoir de l’Unique. »
Soit on utilise des flux, soit on tisse les fils ensemble. Et je me suis dit : « Parfait, je peux exploiter ça. » J’aimais l’idée qu’il y ait une certaine marge de manœuvre dans la manière de le faire. Donc vous remarquerez qu’il y a certains moments où les fils se tissent en un motif particulier.
Les boules de feu de l’Ajah Noire le faisaient clairement. Quand Alanna crée son brouillard pour envelopper la campagne des Blancs Manteaux, c’est très clairement un tissage tressé qu’elle utilise.
Il y a d’autres moments où nous utilisons des flux du Pouvoir de l’Unique. Rand, en particulier, est quelqu’un qui utilise plutôt des « flux du Pouvoir de l’Unique » que des tissages complexes.
Donc c’était, je pense, un peu l’évolution que je voulais apporter.
J’adorais la manière dont les fils étaient rendus dans la saison 2. Je voulais voir comment on pouvait l’exploiter davantage et appliquer plus de ce qui se passe dans les livres pour la saison 3.
C’est là que nous avons introduit des motifs de tissage plus spécifiques pour certains effets.

Camille :
Je voulais savoir, vous travaillez sur les effets, mais est-ce que vous intervenez aussi sur la colorimétrie ? Parce qu’on voit la différence dans la vidéo que vous avez postée sur YouTube. On voit que la couleur de l’image change. Est-ce que vous travaillez sur autre chose aussi ?

Andy :
Nous avons essentiellement notre « déroulé » sur le plateau, établi par les directeurs de la photographie (DOP) et leurs DIT (Note de l’éditeur : Digital Imaging Technician), et cela nous est transmis en post-production.
À la fin de ce processus de post-production, une fois que nous avons fait les effets visuels, ça passe dans ce qu’on appelle le grade, avec le coloriste — c’est la personne qui s’occupe de l’étalonnage des couleurs pour le film.
De nos jours, je travaille uniquement en numérique. Ils prennent les images dans la suite d’étalonnage et ajustent les couleurs, le contraste, ils mettent de petites fenêtres subtiles pour éclairer certaines zones et attirer l’attention sur des éléments précis.
Comme je le dis, je trouve assez intéressant de le montrer dans les réels Instagram d’explication que j’ai faits : on voit le travail d’effets visuels, puis une fois que ça passe dans l’étalonnage, comment ça change. On tend à rendre l’image un peu plus contrastée, un peu plus punchy.
En règle générale, quand les images passent à l’étalonnage, cela peut avoir un effet très dramatique sur des éléments comme la canalisation, qui est un objet lumineux. Il faut donc être très vigilant.
À certaines étapes du processus, je veux voir à nouveaux : voilà à quoi ressemble la canalisation maintenant, voilà à quoi elle va ressembler après l’étalonnage.
Et parfois, il faut faire de l’ingénierie inverse et ajuster vos plans pour ensuite les réintégrer dans l’étalonnage, parce que vous savez comment ils vont ressortir au final.

Camille : D’accord. Eh bien, terminons cette interview sur une note un peu plus ludique. Si vous pouviez incarner n’importe quel personnage de La Roue du Temps, qui choisiriez-vous ?

Andy :
Euh, je ne sais pas. Ce serait probablement quelqu’un comme Mat. Je ne dirais pas que c’est mon personnage préféré, mais il y a quelque chose d’intéressant chez lui à cause de sa chance. Je trouve que c’est un don assez cool, cette chance qui est de votre côté pour certaines choses. Donc je pense que, vous savez, se glisser dans son personnage pourrait être amusant pour voir comment certaines situations se dérouleraient.

Cédric :
Mat est le personnage principal de la série, mais il ne le sait pas. Et il ne veut pas l’être.

Camille :
Oui, c’est d’ailleurs l’un de mes personnages préférés. Il faut continuer à lire les livres, il est vraiment génial.

Andy :
Oui, et je pense qu’il est très populaire auprès des lecteurs. J’ai adoré la façon dont Dónal Finn l’a interprété dans les saisons 2 et 3. Je trouve qu’il l’a vraiment bien capturé.

Cédric :
Oui, il a fait un travail incroyable. Et c’est difficile parce que Mat est volontairement assez antipathique au début de la série, et il s’améliore de plus en plus. Il évolue beaucoup en tant que personnage. Donc continuez à lire et vous verrez que vous avez fait le bon choix.

Andy :
Je suis d’accord, il est un peu geignard au début, comme d’autres d’ailleurs, et puis évidemment, ils mûrissent au fil des livres.

Camille :
Et enfin, avez-vous un conseil pour ceux qui rêvent de travailler dans les effets visuels ?

Andy :
Oui. Rien n’est impossible, comme je le dirais. Je viens d’un petit village paisible dans la campagne de l’Essex, très calme. Je pense que si vous avez une idée ou un objectif clair de ce que vous voulez accomplir, il s’agit de déterminer comment y parvenir, puis de mettre cela en œuvre avec la motivation et la détermination nécessaires. Parce que c’est vraiment, vraiment important : cette volonté et cette détermination pour réussir et atteindre vos objectifs.

En restant réaliste, je ne pense pas pouvoir devenir footballeur professionnel maintenant, mais il s’agit d’avoir quelque chose que vous voulez vraiment faire, de croire que vous pouvez le faire, puis d’avoir cette détermination, ce but, cette assertivité pour y aller et le réaliser. C’est vraiment crucial, car c’est ce qui vous mènera là où vous voulez aller.

Et c’est ce qui m’est arrivé avec les effets visuels : quelqu’un qui est tombé amoureux du processus de réalisation cinématographique et de films comme Batman (1989). Ça a été le déclencheur pour moi, de voir comment c’était fait, et ensuite de suivre cette passion jusqu’à arriver là où je me trouve aujourd’hui dans mon travail. Je me sens vraiment chanceux, car ça ne ressemble pas vraiment à un travail. Je trouve ça extrêmement agréable et je me sens très privilégié. Mais il faut beaucoup de travail pour y arriver, je ne le nie pas.

Camille :
Un immense merci d’avoir répondu à toutes nos questions, Andy. C’est génial de pouvoir discuter avec un artiste comme vous et de mettre en lumière d’autres métiers parfois moins connus. Comme je l’ai dit, nous allons publier cette interview sur Spotify, YouTube, et nous écrirons aussi des articles [Note de l’éditeur : en français et en anglais]. Et que dire de plus ? Nous vous souhaitons tout le meilleur et nous croisons les doigts pour que vous puissiez revenir sur le tournage de la saison 4 de La Roue du Temps.

Andy :
[rire] Eh bien, on verra, mais je veux dire, si j’étais Mat, ça arriverait probablement d’une manière ou d’une autre. Quoi qu’il en soit, merci beaucoup de m’avoir reçu. C’est un plaisir de discuter avec vous.

Cédric :
Merci. Ce fut un vrai plaisir.

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