L’univers de The Wheel of Time ne serait pas aussi immersif et fascinant sans le travail minutieux de deux femmes talentueuses : Davina Lamont, responsable maquillage, coiffure et prothèses, et Sharon Gilham, cheffe costumière. Ensemble, elles ont façonné une esthétique visuelle cohérente, dense et profondément ancrée dans l’évolution des personnages et des peuples de la série.
Davina Lamont, l’artiste des métamorphoses
Avec plus de 30 ans d’expérience dans le cinéma et la télévision, Davina Lamont est une figure incontournable dans son domaine. Récompensée et plusieurs fois nommée aux Emmy Awards et aux MUAHS (Make-Up Artists & Hair Stylists) Guild Awards, elle a travaillé sur des productions prestigieuses comme The Lord of the Rings, King Kong, Cowboy Bebop ou encore Genius.

Originaire d’une petite ville de Nouvelle-Zélande, Davina évoque une enfance remplie de liberté créative. Soutenue par ses parents, elle découvre le maquillage artistique presque par hasard, puis se forme à plein temps avant d’être repérée par Peter Owen (maquilleur de LOTR) et Gino Acevedo (Weta Workshop), deux mentors qui l’initieront aux techniques de perruques et à la peinture sur silicone. Des enseignements décisifs qu’elle utilise encore aujourd’hui.
Dirigeant une équipe de 56 personnes sur The Wheel of Time (lors de la production de la saison 2), elle souligne l’importance du travail collaboratif : “Je peux concevoir un chef-d’œuvre, mais c’est à mon équipe de lui donner vie.” Aujourd’hui, elle transmet à son tour son savoir avec passion.
Pour elle, la saison 3 est l’une des expériences les plus créatives et complexes de sa carrière, notamment l’épisode 4, où Rand revit les souvenirs de ses ancêtres. Une performance exceptionnelle de Josha Stradowski, soutenue par un maquillage, des perruques et des prothèses sur mesure, testés et conçus pour résister à la chaleur écrasante du désert sud-africain.
“Chaque jour est une opportunité d’apprentissage. C’est un métier qui ne se fige jamais.”
Sharon Gilham, architecte des cultures
Sharon Gilham, de son côté, excelle dans la création de costumes porteurs d’histoires. Son approche repose sur une documentation minutieuse et une attention extrême aux textures, aux symboles et aux lignes. Elle fusionne les inspirations historiques et ethniques pour créer des cultures originales, fidèles à l’univers de Robert Jordan tout en restant visuellement innovantes. Son travail vise à rendre chaque peuple immédiatement reconnaissable.
On peut citer par exemple les Tuatha’an, qui combinent le style de vie nomade des voyageurs irlandais avec les philosophies pacifistes des jaïnistes indiens ou encore les Seanchaniens qui fusionnent des motifs visuels de la Méso-Amérique avec la Chine impériale.
Les acteurs participent souvent à cette création. Rosamund Pike (Moiraine) est très proactive sur l’élaboration de son style, tandis que Kate Fleetwood (Liandrin) a proposé elle-même une évolution capillaire pour les scènes tournées à Tanchico.

Des peuples et des styles singuliers
Les Seanchaniens : peur, étrangeté et sophistication

Les Seanchaniens sont un mélange unique de différentes cultures du monde réel. Ils fusionnent des motifs visuels de Mésoamérique et de Chine impériale. “Le matériau source est très puissant et les livres regorgent d’informations sur l’apparence de cette culture”, explique la costumière Sharon Gilham à EW. “L’un des éléments récurrents est l’idée du cuir torsadé pour l’armure des soldats, qui confère un tranchant et une impression de danger à leurs costumes.”
Le peuple Seanchanien est probablement le plus complexe à concevoir selon Lamont et Gilham. Entre les masques, les scarifications, les prothèses et les armures, chaque détail est pensé pour créer une présence intimidante. Il a fallu un mois de tests pour trouver la bonne teinte de bleu pour le maquillage des sul’dam et fabriquer les prothèses de peau, notamment pour les nombreuses scarifications.
Davina raconte avoir travaillé chaque jour à tester les couleurs, à évaluer leur impact visuel lors des scènes de combat, et à les ajuster pour renforcer l’aspect terrifiant des personnages. Elle souligne également l’ampleur du travail consacré aux coiffures.
La conception des Seanchaniens fut un plus grand défi. Leur complexité résidait dans la multiplicité des éléments à prendre en compte, notamment leurs costumes et casques de combat, qui devaient déjà impressionner dès leur première apparition. Ensuite, il a fallu imaginer leur apparence une fois les casques retirés, tout en conservant une aura de menace. Davina a dû concevoir ces différents aspects pour maintenir leur caractère intimidant tout au long de la série — une tâche difficile, mais passionnante.
Gilham et son équipe textile se sont inspirés de l’artiste du Bauhaus Anni Albers et des motifs reptiliens d’Alexander McQueen pour créer le costume de Lady Suroth, cheffe des Seanchans. Ils ont conçu un kimono aux formes évasées avec un imprimé irrégulier évoquant le reptile, que l’on retrouve aussi dans le masque de Lady Suroth et dans l’apparence générale du peuple Seanchanien. Ce motif devient un symbole narratif propre à leur culture, notamment porté par les membres du Sang, l’élite Seanchanienne.
Gilham a également intégré ces motifs dans les costumes des sul’dam et des Gardes de la Mort, placés dans leur dos pour donner l’impression d’une carapace crénelée. L’esthétique repose sur une palette de couleurs métal rouillé, évoquant des objets venus de l’étranger par bateau. Ce travail de design, basé sur quelques idées de départ, s’est développé en une culture visuelle complète, ce qui fait selon elle la richesse de La Roue du Temps.
Les Aes Sedai : chaque Ajah, une identité
Davina et Sharon ont détaillé leur travail minutieux sur l’apparence des Aes Sedai dans La Roue du Temps, en insistant sur l’aspect avant-gardiste et haute couture qu’elles présentent à la Tour Blanche. Chaque Aes Sedai arbore un style visuel distinct, en lien avec son Ajah (Ordre), et cela se reflète autant dans les costumes que dans les coiffures. Davina veille à adapter chaque coiffure à la couleur et à la symbolique de l’Ajah : les Jaunes, associées à la guérison, portent par exemple des fleurs dans leurs cheveux pour créer une ambiance apaisante, tandis que les Rouges, comme Liandrin, ont des coiffures chargées de tresses, soulignant leur origine et leur caractère sévère, que le personnage conserve tout au long de la série.
Un soin particulier a aussi été apporté à un nouveau personnage important de la saison 3, Elaida Sedai. Ses costumes, selon Sharon Gilham, ont été volontairement conçus pour paraître démodés, voire décalés, traduisant son point de vue rigide et sa vision du pouvoir. Certains vêtements sont mêmes lourds, soulignant le poids de son autorité et la façon pesante dont elle s’impose. Cette extravagance vestimentaire reflète également ses ambitions de devenir Amyrlin.
Davina Lamont, de son côté, a conçu une coiffure imposante pour Elaida, destinée à exprimer la puissance. Dans un univers peuplé de coiffures sophistiquées, celle-ci devait se démarquer nettement : elle a donc opté pour une silhouette conique, élégante à l’avant, structurée et relevée en pointe à l’arrière, symbolisant force et détermination.
Tanchico : exubérance et liberté
Tanchico est une ville marquée par son côté brut et avant-gardiste. Davina Lamont a évoqué une scène emblématique où les personnages féminins marchent dans les rues de Tanchico, un moment qui leur a offert une grande liberté artistique.
Grâce à un travail sur les couleurs et les textures textiles, l’équipe a pu créer des looks à la fois avant-gardistes et très stylisés, soulignant l’individualité de chaque habitant. Un élément récurrent chez les habitants de Tanchico était les tresses, un détail que Lamont a intégré dans le design capillaire, notamment pour modifier l’apparence de Liandrin.
L’actrice Kate Fleetwood, qui incarne Liandrin, a d’ailleurs proposé de lui donner des cheveux lâchés, sauvages, ce qui a influencé le résultat final et renforcé le caractère rebelle et imprévisible du personnage dans ce nouveau décor.

Andor : le lion Blanc
Pour représenter Andor, Gilham a mené un travail approfondi autour de la couleur et du design. Elle a retenu une palette réduite — rouge, blanc et or — afin de créer un impact visuel fort et de refléter la noblesse des personnages à travers des costumes stylisés. Elle a également repensé la couronne de la reine en la dessinant à l’envers, avec la pointe dirigée vers l’arrière, proposant ainsi une vision originale et symbolique de la royauté.
Personnages et récits intimes
Sharon Gilham explique que l’équipe a travaillé avec l’idée de continuité évoquée par Rafe Judkins, afin que les personnages semblent toujours rappeler leurs origines, comme avec les jeunes de Deux Rivières.
Moiraine dans le désert : la fragilité incarnée
Le look de Moiraine a été soigneusement élaboré pour refléter ses origines cairhiennes, avec une esthétique mêlant influences françaises et japonaises. Pour une scène de soirée mondaine, des perruques stylisées inspirées de ces cultures ont été spécialement conçues. Ce processus, long et minutieux, nécessite plusieurs semaines de préparation. Lamont, responsable de la coiffure, commence à échanger avec les équipes quatre à cinq semaines avant le tournage, afin de concevoir des perruques hyper réalistes qui sont ensuite affinées avec les retours des acteurs.
La création de Moiraine est un travail d’équipe entre la coiffure, les costumes et le maquillage. Rosamund Pike, l’actrice, est très impliquée dans ce processus. C’est d’ailleurs elle qui a proposé l’idée que Moiraine semble s’être coupé les cheveux, ce qui a mené à l’utilisation spontanée d’une perruque d’une ancienne production, parfaitement adaptée à cette nouvelle apparence. Le look final de la scène des jeunes en Rejetés est ainsi né d’un heureux hasard.
Du côté des costumes, Gilham a conçu une évolution vestimentaire pour refléter le parcours émotionnel de Moiraine. Bien qu’appartenant à l’Ajah Bleu, elle commence la saison 2 avec des couleurs douces, presque neutres, traduisant sa perte de repères. À son point le plus vulnérable, ses tenues perdent presque toute couleur, une métaphore visuelle de son état psychologique. À mesure qu’elle regagne son identité et sa force intérieure, les couleurs de ses vêtements deviennent plus affirmées et plus bleues.

Un autre élément marquant a été la fameuse cicatrice portée par Moiraine. Réalisée à l’aide de matériaux comme le Pre Bondo et le silicone, cette cicatrice est devenue un détail permanent, porté dès la première saison, en miroir de celles que Lan arbore également. C’est un trait que le personnage « garde en lui », comme une marque indélébile de son vécu.
Davina Lamont nous raconte même son processus de travail lors de la production de la saison 2. “Je discute beaucoup avec eux avant leur arrivée à Prague et le début du tournage. Je leur parle quatre ou cinq semaines à l’avance. Pour pouvoir associer les perruques, il faut beaucoup de discussions initiales, car la fabrication d’une perruque prend quatre à cinq semaines. Je leur donne donc des concepts hyper réalistes que je veux réaliser, et une fois approuvés, je les leur envoie. On commence alors les discussions. La plupart du temps, ils sont vraiment impressionnés par mes créations et ils veulent les développer, ce qui les aide à se mettre dans le rôle de la saison 2.”
Sharon Gilham, quant à elle, aborde le passage de Moiraine dans Rhuidean. Elle explique que Rosamund Pike était très collaborative et qu’elle adorait le processus d’essayage de ses costumes, ce qui a contribué au développement du personnage. Pour les visions de Rhuidean, Sharon a dit que c’était surtout du jeu. Grâce à leur immense atelier, avec d’anciens costumes et des rouleaux de tissu, elle a créé les différentes formes adaptées à chaque scène.
Enfin, le chapeau porté par Moiraine a suscité de nombreuses réactions dans le fandom. Ce choix, à l’origine purement pratique pour protéger Rosamund Pike du soleil du désert, a également permis de renforcer le caractère unique du personnage. Gilham a imaginé que Moiraine aurait pu troquer ce chapeau auprès d’artisans locaux, en cohérence avec l’univers de la série. Si certains fans l’ont trouvé amusant ou inattendu, l’équipe a accueilli ces réactions avec humour.
Lamont et Gilham collaborent étroitement : cicatrices, perruques, textures salines sur la peau… tout est minutieusement conçu.
Rand : l’héritage de ses ancêtres

L’épisode 4 de la saison 3, que Lamont qualifie de plus difficile mais le plus gratifiant, met en scène Rand incarnant six de ses ancêtres (+ une version Rejeté). Chaque personnage a demandé un travail intense de prothèses, perruques, lentilles, maquillage, et même des combinaisons corporelles. Tout cela tourné sous une chaleur extrême en Namibie.
Lamont s’est investie dans la création de dessins conceptuels hyperréalistes de chaque personnage. Elle a collaboré avec le réalisateur Thomas Nellan et le showrunner Rafe Judkins pour comprendre l’histoire et l’époque de chaque personnage.
Lamont a effectué de nombreux tests pour s’assurer que les looks étaient réalisables et portables. Stradowski, ravi d’incarner ces personnages, s’est montré très collaboratif lors des tests. Il a donné son avis sur les coiffures et les perruques, portant chaque look pendant quelques heures pour se mettre dans la peau du personnage et ainsi définir son interprétation.
Côté costumes, Gilham a évoqué les défis posés par cette longue période de temps couverte lors de ce fameux épisode 4. Il s’agissait de représenter l’évolution des Aiels, depuis leurs origines de Tuatha’an à leur statut moderne de briseurs de serments.
Chaque époque possède son identité visuelle tout en conservant des éléments communs (voile, coiffure, tissu, cadin’sor) pour montrer leur lien ancestral. On retrouve des ressemblances évidentes depuis l’Âge des Légendes avec Charn jusqu’au costume d’Aviendha en Promise de la Lance.
Aviendha : de Promise à Matriarche
Sharon Gilham, en concevant les costumes des Aiels, a intégré des éléments d’armure inspirés des cadin’sor pour représenter les Promises de la Lance, tout en restant fidèle à leur culture guerrière. Pour les Matriarches, elle a opté pour des textiles français anciens, ornés de broderies dans des tons harmonisés, afin de refléter leur sagesse et leur raffinement. Chaque personnage a été doté d’un détail distinctif — un morceau de tissu ou un bijou — pour souligner son individualité dans ce monde richement codé.
Davina Lamont, quant à elle, a détaillé l’évolution du maquillage et de la coiffure d’Aviendha, marquant sa transition de guerrière à Matriarche. Au fil de son parcours, Aviendha abandonne son maquillage de combat, chargé et dur, pour adopter un style plus doux et apaisé, en écho à son développement intérieur et à son apaisement progressif.
L’excellence collaborative
Pour Davina, l’épisode 4 de la saison 3 a été à la fois le plus difficile à réaliser mais aussi le plus gratifiant. Le plus amusant était toute la création autour de Tanchico. Elle a particulièrement apprécié le travail autour de Rand et Moiraine cette saison.
De son côté, Sharon a beaucoup aimé la courte apparition des Jeunes en Rejetés ou les trois filles à cheval dans le test d’Acceptée d’Egwene. Elle compare ces scènes courtes, mais visuellement puissantes, à de véritables montées d’adrénaline grâce à la richesse des costumes.
Sharon Gilham et Davina Lamont partagent une même vision : créer des mondes cohérents et crédibles. Elles travaillent main dans la main, des premiers croquis jusqu’aux derniers ajustements sur le plateau. Leur sens du détail, leur créativité et leur respect des récits ont largement contribué à faire de The Wheel of Time une œuvre aussi visuellement riche que narrativement profonde.