Interview de Robert Jordan dans Dromen & Demonen (1999)

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Cette interview est parue dans le magazine “Dromen & Demonen” n°7, sorti en 1999, et a été traduit du néerlandais par Logain.

Dromen & Demonen est un fanzine néerlandais traitant du fantastique, de l’horreur et de la science-fiction.

Robert Jordan – diplômé en physique d’une académie militaire, vétéran médaillé du Vietnam – n’est qu’à une longueur de Tolkien pour le titre d’auteur fantastique le plus populaire de tous les temps. Sa série de “La Roue Du Temps” raconte l’histoire d’un monde dans lequel l’harmonie entre le féminin et le masculin est fondamentalement perturbé. Les femmes protègent le monde en attendant le retour prophétisé du sauveur. Les huit livres qui composent actuellement la série sont des histoires complexes impliquant des cultures extrêmement détaillées. De nombreux sites Internet abondent de commentaires de lecteurs enthousiasmés par l’oeuvre de Jordan.

La Roue du Temps est considérée comme la meilleure œuvre épique de fantastique de tous les temps, et tu es comparé à Tolkien. Tu le prends comment ?

Cela me fait sourire, mais cela m’énerve aussi. Mon entraîneur de football à l’école m’a donné un très bon conseil : ” le samedi matin, tu as le droit de croire que tu es aussi bon qu’ils le disent. Mais quand tu arrives à l’entraînement lundi matin, plus personne ne te connaît. Tu as alors une semaine pour te préparer pour le seul match qui déterminera ta réputation. ” C’est donc bien de recevoir des encouragements, d’entendre dire à quel point on es formidable, mais je sais où cela mène : chez moi derrière l’ordinateur, là ou personne ne me connaît, en train de travailler sur ce livre qui fera ou défera ma réputation.

Ta maîtrise de l’intrigue te différencie de beaucoup d’auteurs de fantastique. Les livres sont parsemés sur différents niveaux d’énigmes cachées. Comment t’y prends-tu ?

Aucune idée. Je n’ai jamais suivi de cours de rédaction. L’enseignement littéraire était obligatoire à l’école. Depuis ma première je savais que j’écrirais un jour, mais je n’ai commencé qu’à mes 30 ans. Comment c’est venu ? Peut-être d’avoir lu tout ce qui me tombait sous la main pendant 30 ans.

La Roue du Temps montre beaucoup de guerres et de combats. Une influence de ton expérience militaire ?

Jusqu’à un certain point. Grâce à cela, je sais l’effet que ça fait quand quelqu’un essaie de te tuer. Et que pour les participants, un champ de bataille, c’est un immense chaos. Ils n’ont aucune idée de ce qu’il se passe hors de leur champ de vision. Mais au fond je trouve les champs de bataille moins intéressant que les gens. J’aime leur interaction – comment ils évoluent, comment ils réagissent les uns envers les autres.

Considères-tu ton monde comme réel ?

Les lecteurs se rendent compte quand l’auteur voit son monde comme une construction. Les gens me demandent souvent ” Quel est ton personnage favori ? “. C’est celui sur lequel je travaille à ce moment là. Même un Padan Fain ou une Semirhage. La plupart des gens ont un côté attachant, et si je n’aime pas un personnage que je décris, le lecteur s’en apercevra. Ma femme dit qu’elle devine quand j’ai écrit sur un personnage comme Fain au moment où je rentre dans la cuisine le soir. J’espère que mes livres donnent l’impression que je vois plus que je ne décris.

Es-tu influencé par certains périodes historiques ?

Je donnerai un exemple : la culture Aïelle a des origines Japonaises. Ainsi qu’un peu de Zoulou, Berbère, Bédouin, Cheyenne, Apache. Plus certaines choses que j’ai inventées moi-même. Ce n’est pas une copie, car ma méthode de travail est la suivante : si A est vrai, qu’y a-t-il encore de plus vrai dans cette culture ? Et si B est vrai ? Ainsi je crée une arborescence, et je trouve une série de 10 à 30 points que je considère comme véridiques. J’obtiens ainsi un début d’image de la culture, parce que cette série fait que d’autres choses doivent exister. C’est là que cela devient intéressant, car d’autres choses deviennent vraies du fait de l’existence de ces choses-là. Mais ne peuvent pas le devenir du fait de ces choses-ci. Donc dans quelle direction cela mène-t-il, et pourquoi ? Ces petites curiosités, c’est ce qu’il y a de plus amusant dans une culture. C’est un travail fascinant de créer.

Y a-t-il des personnages basés sur des figures historiques ?

Non. Les groupes sont parfois inspirés d’organisations historiques. Les Blanc Manteaux par exemple ressemblent à l’ordre des Chevaliers Teutoniques. L’organisation des Aes Sedaï est basée sur celle des monastères européens entre l’an 1000 et 1800, la période durant laquelle ils détenaient un véritable pouvoir politique.

Les femmes dans La Roue du Temps n’ont pas une dimension unique, comme souvent dans le Fantastique. Est-ce volontaire ?

En partie. Du fait de l’histoire de ce monde, les femmes devaient détenir un véritable pouvoir politique. Par ailleurs, je trouve les femmes plus intéressantes dans la mesure où elles ont plus de facettes. Le type de femmes qui m’intéresse est celles qui sont complexes et fortes, il n’est donc pas illogique que j’écrive sur ce genre de femmes.

Est-ce qu’à la fin l’harmonie entre hommes et femmes sera rétablie ?

Lis et tu le sauras*. Les lignes principales auront un dénouement. Quelques lignes secondaires non, car un monde est mort si toutes ses histoires trouvent une fin. C’est une chose qui m’irrite dans certains livres, le moment ou tout est résolu. Comme si les personnages et leur monde pouvaient rester figés dans une vitrine. Cela, je veux l’éviter. Je veux même placer un petit rebondissement dans la dernière scène !
* RAFO/Read and find out

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