Interview avec Didier Graffet, illustrateur de la Roue du Temps : “Tous ces objets rassemblés illustrent la richesse de cet univers”

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Didier Graffet est un illustrateur et coloriste français. On ne compte plus les prix qu’il a reçus (mais citons tout de même le Prix Wojtek Siudmak du graphisme du grand prix de l’Imaginaire en 2003). Depuis 1994, il a illustré de très nombreux romans de fantasy et de science-fiction, chez différents éditeurs (Au Diable Vauvert, Le Pré aux Clerc, Bragelonne, L’Atalante, J’ai lu, Nestiveqnen, Gründ…)

Mais pour nous, Didier Graffet est surtout l’illustrateur des couvertures françaises de la nouvelle collection poche de la Roue du Temps chez Bragelonne ! Et disons-le tout de suite : ces couvertures sont une réussite. A tel point qu’elles ont fait le tour du monde, suscitant des réactions très positives chez les fans anglo-saxons de la Roue du Temps.

Il y a quelques temps, nous avons pu l’interroger, grâce à l’aide de l’éditeur Bragelonne, pour lui poser quelques questions sur son travail, le processus de création, le style des couvertures, les échanges avec l’éditeur… Voici donc ci-dessous l’interview qu’il nous a accordée ! Merci à toi, Didier, pour tes réponses très complètes et pour ta sympathie.

La Pierre de Tear : Connaissiez-vous la Roue du Temps avant de l’illustrer ? Avez-vous entièrement lu l’œuvre avant de dessiner pour chaque tome, ou cela s’est fait progressivement?

Didier Graffet : Oui, je connaissais ce roman qui allait devenir cette saga, j’en avais entendu parler lorsque le premier tome a été édité pour la première fois en France, en 1995. J’avais 25 ans et l’univers de la fantasy n’était pas aussi répandu qu’aujourd’hui. Il y avait tout de même des auteurs de référence comme Moorcock, Zelazny, Hobbes, Keyes ou Gavriel Kay entre autres, et Tolkien évidemment… et finalement peu d’éditeurs Français de Fantasy encore à ce moment là. Un nouveau roman de Fantasy ne passait pas inaperçu, pour un peu que l’on se donnait la peine de le trouver chez son libraire ! Il y avait notamment la revue “Bifrost”, ou des magazines spécialisés en Jeu de Rôle comme Dragon Magazine, qui relayaient ces parutions.

Je n’ai pas commencé la lecture de La roue du Temps à ce moment-là, mais lorsque j’ai commencé à illustrer les couvertures de Bragelonne. Après, je dois avouer qu’il est souvent difficile de lire une série dans sa totalité, de manière reposée, et surtout lorsque les tomes sont édités à intervalle rapproché, par manque de temps. Je mettais un point d’honneur à lire systématiquement le roman dont je devais faire la couverture à mes débuts, c’est moins le cas maintenant. Aujourd’hui, c’est plus une lecture de travail, de recherche de passages intéressants à illustrer, mais j’ai néanmoins besoin de m’imprégner de l’ambiance du roman en lisant quelques passages.

La Pierre de Tear : Pourquoi avoir choisi la mise en avant d’objets et pas de personnages ?

Didier Graffet : C’est un choix de mon éditeur, Bragelonne, de mettre en valeur un objet ou un artefact emblématique de cette série. Je trouve l’idée plutôt originale, et puis l’éditeur voulait trancher avec des couvertures illustrées de manière classique montrant souvent une scène figurative…

J’ai trouvé l’idée intéressante, le fait que ces objets représentent d’une certaine manière les personnages qui les possèdent, ou que l’on puisse identifier assez vite différentes civilisations ou ethnies. Et puis, les objets peuvent en raconter beaucoup sur leur “propriétaire”, s’ils sont peu usés, richement décorés ou non, etc… on peut aussi imaginer que ces objets sont ce qui reste de leur passage, ils se transmettent après eux de génération en génération.

La Pierre de Tear : Le choix des objets en couverture est-il discuté avec le traducteur et/ou avec l’éditeur ? Le cas échéant, cela passe par des échanges de croquis au préalable ? Quelle est la technique utilisée pour réaliser l’illustration finale ?

Didier Graffet : En général, l’éditeur, me soumet les idées des objets à représenter. C’est important de bien les choisir, aussi bien pour la suite logique de l’histoire que pour éviter les répétitions d’objets relativement similaires. Il vaut mieux alterner étendards, épées, artefacts magiques etc… Domitille Vimal, éditrice chez Bragelonne et qui connaît très bien les romans, écrit un brief et Fabrice Borio, le Directeur Artistique, me le transmet. Nous en discutons afin de bien visualiser chaque détail.

Par la suite, je soumets des crayonnés afin de lancer l’exécution. Pour moi les crayonnés ne sont néanmoins qu’une base pour travailler. C’est lors de l’exécution que je rentre pleinement dans le sujet, et m’attache aux détails importants. Je ne peux m’empêcher de chercher des références dans notre propre histoire, afin de donner plus d’authenticité à l’objet; Par exemple pour l’un des deux volume d’Une Couronne d’épées, j’ai représenté un collier couteau de mariage d’Ebou Dar, celui de Tylin, Reine d’Altara. Pour celà je me suis inspiré de la forme générale d’une parure orientale ancienne, en ajoutant évidemment le couteau central.

La réalisation finale se fait en numérique, avec un travail sur la matière à base de dessin et de mes propres photos. J’ai toujours bien aimé représenter le métal en Fantasy ou en Steampunk . C’est cette matière qui pour moi fait le lien entre ces deux univers. Il peut-être brillant, mat, oxydé, rouillé, doré, cuivré… J’intègre de la matière métal sous forme de photo aux objets, ce qui leur donne cet aspect plus réaliste. D’autres matières sont également intégrées comme le cuir, le tissu… mais je pars toujours d’un crayonné.

La Pierre de Tear : De votre travail, on connaît surtout des décors gigantesques époustouflants, notamment dans une atmosphère rétrofuturiste. Comment avez-vous été choisi comme illustrateur pour ce projet ? Est-ce vous qui avez proposé cette approche ou est-ce un pré-requis de l’éditeur ? Nous avons bien noté les couvertures que vous avez réalisées pour les ouvrages de Gemmel ou Pevel, qui sont dans le même style que celles de la Roue du Temps.

Didier Graffet : Je travaille avec les Editions Bragelonne depuis leur début, en 2000. La première couverture a été “Légende” de David Gemmell. C’est une relation de confiance qui s’est installée au fil des années.

Lorsqu’on lance une série de romans il faut là penser dans sa totalité, ne pas se “planter” sur le choix graphique de la première couverture qui détermine la suite. Si l’éditeur m’a choisi pour illustrer cette série, c’est parce que ça fonctionne bien entre nous, nous parlons le même langage, je comprends sa demande, et sa vision de la Fantasy correspond à la mienne.

Je n’ai pas le même état d’esprit quand je réalise une couverture et quand je travaille sur une peinture ou illustration intérieure. Une image de couverture doit capter l’attention instantanément, elle est faite pour attirer un lecteur, c’est un objet artistique mais aussi commercial.

Ceci dit, chaque éditeur a sa marque de fabrique. Je ne pense pas une couverture de la même manière lorsque je travaille pour Albin Michel ou France Loisirs. La charte graphique sera différente. Et puis tout dépend si le Directeur Artistique me laisse une liberté de création totale ou plus réduite. Avec Fabrice Borio, DA de Bragelonne, nous discutons beaucoup des images à réaliser, pour commencer à les imaginer, voir ce qui est envisageable, ce qu’il faut exclure, les tendances actuelles, comment apporter à une série de Fantasy déjà multi-éditée un visuel différent.

C’est pour moi un travail de ressenti. Si j’imagine assez vite l’image à représenter, si j’ai pris un certain plaisir à là réaliser, si au bout du compte la réalisation finale me plaît je pense qu’elle plaira au lecteur. Je sais aussi que si quelque chose qui manque dans le processus de sa création, l’image ne sera pas celle que j’espérais et aura moins de chance de plaire.

La Pierre de Tear : Ces couvertures poche sont un changement important par rapport aux couvertures grand-format, qui ne reprennent que la Roue elle-même et sont manifestement inspirées de l’édition anglaise Orbit Book. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de ce changement ?

Didier Graffet : C’est une question qu’il faut poser à l’éditeur. Je pense qu’il a voulu se démarquer en proposant une interprétation originale, inédite. Pour ma part, je trouve la représentation de la roue sur chaque volume, et même si on change la couleur de fond, un peu répétitive. Celà ne gênera peut-être pas les fans du roman, déjà conquis, mais le fait d’apporter une nouvelle vision plus illustrée avec ces artefacts attirera sans doute de nouveaux lecteurs et lectrices. Et puis tous ces objets rassemblés offrent un regard inédit sur cette série et illustrent assez bien la richesse de cet univers.

La Pierre de Tear : Dans ces couvertures version poche, vous avez choisi de faire apparaître la Roue du Temps en arrière-plan dans le style d’une gravure. La gravure de la Roue elle-même est dégradée, craquelée, alors que le Dragon est net. Est-ce lié au fait que l’histoire se déroule à la fin d’une ère et que le Ténébreux attaque l’intégrité même de l’Univers ?

Didier Graffet : Je n’y avais pas pensé en le réalisant, mais c’est une bonne interprétation. Après, je n’ai pas cherché aussi loin ! L’idée à l’origine était d’avoir un fond assez ouvragé, mais assez neutre sur lequel on puisse poser tous ces objets aux formes et couleurs diverses. Je voyais plus le fond non pas comme une gravure sur parchemin, mais plus comme une pierre sculptée, ce qui suggère une notion d’univers ancestral, qui défie le temps, dans lequel évoluent ces personnages, représentés par leurs objets.

La Pierre de Tear : Avez-vous déjà une idée des prochaines couvertures, considérant que la traduction avance relativement vite et que les derniers volumes grand format seront édités dès 2022?

Didier Graffet : Oui, les couvertures sont réalisées très en amont de la parution, parfois jusqu’à six mois avant la sortie du volume.
Je peux juste vous dire que l’on aura une représentation symbolique de Caemlyn, d’une archère célèbre, d’un personnage associé aux loups (;)), entre autres…

La Pierre de Tear: Ces couvertures sont très appréciées par les fans français, mais aussi par les fans anglophones ! Aviez-vous vu la vidéo de DragonMount (Wheel of Time Community Show) spécialement consacrée ces couvertures?

Didier Graffet : J’ai vu cette vidéo, et ça fait réellement plaisir que ces couvertures soient aussi appréciées outre Atlantique ! Vive La Roue du Times !

La vidéo réalisée par Dragonmount.com pour nos amis anglophones :

1 réflexion au sujet de « Interview avec Didier Graffet, illustrateur de la Roue du Temps : “Tous ces objets rassemblés illustrent la richesse de cet univers” »

  1. Ces réponses détaillées sur le processus de création, l’intention de départ etc, sont vraiment très intéressantes. Merci beaucoup pour toutes ces précisions et pour ces fort belles couvertures ! 🙂

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